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Déployant une légion de minuscules petits êtres de cristal dans le courant nourricier, elles ornent les tombants de leurs ramures à l’aspect de velours. Leurs couleurs souvent vives sont appréciées des plongeurs. Et surtout des photographes qui en ont fait un de leurs sujets favoris. Pourtant, les gorgones réservent bien plus que le simple attrait esthétique. Elles hébergent une faune étonnante… et à peine visible.
Les gorgones, un beau sujet pour les photographes sous-marins
Elles émerveillent. Dans la région marseillaise, les plus beaux sites de plongée en abritent des centaines. Ce n’est pas un hasard si ce sont les sites qui remportent le plus de succès auprès des plongeurs. Elles embellissent les tombants en formant de larges éventails bercés par le courant, au milieu desquels des nuées de poissons tout aussi colorés virevoltent. Plus généralement, on les rencontre dans toutes les eaux tempérées ou chaudes de la planète. Parfois rouges, bleues, mauves, oranges, jaunes ou encore blanches, elles peuvent atteindre des tailles remarquables dépassant parfois les deux mètres d’envergure. Pourtant, rares sont les curieux qui s’arrêtent afin de les observer de plus près, préférant en général profiter de l’ambiance qu’elles procurent.
Qu’est-ce qu’une gorgone ?
Malgré une présence très commune dès lors que les températures le permettent, les gorgones restent relativement méconnues aux yeux des plongeurs, passant parfois pour de simples « branches » se développant sur les tombants. Il s’agit en réalité de colonies. Chaque rameau n’est en fait que le support de vie de centaines de polypes, s’apparentant à de petites anémones, vivant ensemble. De l’embranchement des cnidaires, ces animaux proches des coraux font partie de la classe des octocoralliaires. Ils ont la particularité d’avoir un corps à 8 tentacules (les coraux « durs » en ont 6) d’à peine quelques millimètres de diamètre. Le squelette des gorgones (qui forme l’ossature des ramures) est bien moins calcifié que celui des coraux durs, et donc bien plus souple : on voit ainsi les gorgones vibrer dès que le courant se fait sentir. Un squelette qui ne grandit que très lentement, de quelques millimètres à quelques centimètres par an selon les espèces. La grande majorité d’entre elles n’ont également pas de zooxanthelles, ces algues microscopiques et photosynthétiques avec lesquelles les coraux vivent une relation étroite. C’est pour cette raison que l’on rencontre le plus souvent les gorgones à l’abri de la lumière. Mais comme pour toute règle, il y a des exceptions et certaines espèces bénéficient de l’activité de ces algues bienfaisantes en vivant plutôt exposées à la lumière.
Gorgone dans la mythologie grecque
Dans la mythologie grecque, les gorgones sont des créatures malfaisantes qui ont le pouvoir de pétrifier quiconque croisant leur regard ! Elles sont au nombre de trois : deux sont immortelles, Euryale et Sthéno, et la seule mortelle est aussi la plus connue, Méduse. C’est Persée, muni d’un bouclier dont il se servait de miroir pour ne pas la regarder dans les yeux, qui parvint à tuer Méduse en lui tranchant la tête.
Un petit monde bien caché au milieu des ramifications des gorgones !
Mais le plus captivant apparaît lorsque l’on se penche d’un peu plus près, et que l’on vient s’immiscer au creux des ramures. Oublions un instant l’immensité de la mer, et focalisons-nous à une échelle beaucoup plus réduite où un monde étrange et singulier se manifestera avec un peu d’attention. Armez-vous de patience et si possible d’une bonne vue. Car les gorgones sont le refuge de toute une multitude d’espèces, plus ou moins extravagantes, et parfois bien difficiles à discerner.
On y trouve des créatures sacrément rusées et carrément opportunistes. Certaines s’invitent momentanément à la cime de ce promontoire idéal pour se nourrir. Telle peut-être l’activité favorite de bon nombre de petits Bernard l’ermite se lançant dans une périlleuse ascension des gorgones à la nuit tombée. Ou encore des gorgonocéphales venus déployer leurs longues ramifications qui filtreront de fines particules planctoniques. Une aubaine pour ces créatures car les gorgones grandissent de préférence dans des zones parcourues par les courants. Ni trop fort, ni trop faible, mais suffisant pour apporter assez de nourriture. Celle-ci sera alors collectée par les tentacules des polypes. Ce n’est donc pas un hasard si elles grandissent de manière à s’éloigner le plus possible de leur support, avec des ramures alignées dans un plan le plus perpendiculaire possible au courant dominant. Elles augmentent ainsi le rendement en optimisant la surface de récolte du plancton. Et leurs hôtes d’un soir ont bien assimilé cette astuce et en profitent à leur tour. Une fois perchés tout là-haut, il n’y a plus qu’à se servir ! Certaines espèces de requins ovipares, comme les roussettes en Méditerranée, viennent même y attacher leurs œufs (qui ressemblent à une capsule munie de filaments aux quatre coins). Parfaitement oxygénés par le courant durant les longs mois d’incubation, les œufs abandonnés par la mère pourront se développer correctement.
Le poisson trompette lui, viendra souvent s’abriter au milieu des longues ramifications des gorgones. Avec sa robe rayée, il y sera facilement camouflé lorsqu’un danger se présentera. Immobile, il y restera le temps de se faire oublier.
Être camouflé, c’est d’ailleurs l’option choisi par de nombreuses espèces vivant dans les gorgones, développant alors des mimétismes bluffant de réalisme. En Méditerranée, le minuscule nudibranche appelé « Tritonia des gorgones » en est un parfait exemple. Bien difficile à débusquer, il est plus simple de trouver sa ponte. Il s’y trouve en général à proximité et s’enroule souvent autour d’une ramure. De couleur blanche, jaune ou rose clair, selon la couleur de la gorgone hôte, ses papilles dorsales ressemblent à s’y méprendre aux polypes des gorgones !
Peut-être ne remarquerez-vous même pas la petite crevette à quelques centimètres de là. Avec un corps d’une transparence étonnante, elle frôle l’invisibilité ! A peine plus visible, une minuscule galathée se fondra dans le décor au milieu des polypes, tout comme cette araignée aux pattes interminables. Toujours en Méditerranée, le plus photographié des habitants des gorgones est sans doute la délicate simnie blanche. Cette proche cousine des porcelaines vit exclusivement sur les branches des gorgones dont elle mange les polypes, sans pour autant mettre en péril sa colonie hôte. L’équivalent de la célèbre monnaie caraïbe ou encore des ovules des gorgones d’Asie.
L’un des représentants les plus emblématiques du peuple des gorgones, est sans aucun doute l’hippocampe pygmée. Le précieux sésame du photographe sous-marin capable de traverser la moitié de la planète pour immortaliser ce lilliputien exceptionnel.
Il en reste tant à découvrir. Ces lieux privilégiés, tel de véritables arches de Noé, réservent incontestablement une multitude de trésors cachés qui ne demandent qu’à être découvert. Et il est d’autant plus important de protéger ces catalyseurs de biodiversité. Ouvrez l’œil…
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3 commentaires
Trop beau ! Moi qui ne vois pas toujours les gros poissons, alors là il me faudra un masque à loupe X 100
@hubner-claude Bon, j’avoue, certaines bestioles sont carrément pas facile à voir… même lorsque l’on a le nez dessus ! :)
Bonjour Anthony, des articles toujours passionnants. Merci. Pourriez vous me dire ce qu’est l’animal sur la gorgone photographiée « item 14 de 16 » dans la dernière série de photos de votre article « Les gorgones, véritables HLM sous-marins ! ». Déjà grand merci