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Paisible, calme et reposant. Le monde du silence nous apparait comme un lieu rempli de sérénité. La réalité est tout autre pour ceux qui le peuplent. Pour les animaux marins, vivre, grandir et se reproduire relève de l’exploit. Dès la naissance, et parfois même avant, les bébés de la mer sont confrontés à la terrible loi de la nature qui tend à éliminer les plus faibles. Le chemin pour devenir un vieux loup de mer est semé d’embuches. Mais tous les moyens sont mis en œuvre pour que les juvéniles parviennent un jour à donner la vie…
La mer, un milieu hostile pour les bébés de la mer
Si un mot devait décrire le milieu marin, ce serait sans aucun doute le plus objectif. Bien souvent livrés à eux-mêmes, les juvéniles sont confrontés à un univers sans pitié, où manger et se reproduire sont les objectifs communs de tous. Pérenniser l’espèce avant tout, même parfois au détriment de sa vie. A l’image des femelles poulpes qui lorsqu’elles ont pondu, veillent sur les milliers d’œufs sans jamais les quitter, jusqu’à l’éclosion. Une mission éprouvante se soldant la plupart du temps par un épuisement tel, que la mort est inévitable. Qu’importe, les petits poulpes, répliques miniatures mais exactes des adultes, sont là. La mort favorisant la vie. Le sacrifice de la mère a d’autant plus de valeur que le pourcentage atteignant la maturité sexuelle est infime…
Dans un genre radicalement différent, d’autres espèces adoptent d’incroyables méthodes. A l’image des requins taureau dont les jeunes se livrent à de redoutables scènes de prédation, avant même leur naissance. Chacun des deux utérus de la mère abritant une douzaine d’œufs, seul un bébé requin par utérus verra la lumière du jour. Avant cela, alors que les œufs éclosent à l’intérieur de l’utérus, les petits se dévorent entre eux lors de leur développement. Seul le plus vaillant naîtra, celui dont l’instinct de prédation est le plus développé ! Les deux petits requins taureau seront ainsi prêts à affronter les dangers de l’océan.
S’adapter pour survivre…
A l’image de ces deux exemples, les fluctuations environnementales ont conduit les espèces à adapter leur stratégie de reproduction selon deux modèles différents. Chaque espèce vivante utilise une des deux stratégies, ou bien une position intermédiaire.
D’un côté, lorsque les risques envers une espèce sont réduits, et les ressources nécessaires abondantes et accessibles, l’effort reproductif sera réduit, et la fécondité basse. Les jeunes auront de bonnes chances de vivre et d’atteindre la maturité sexuelle, même si celle-ci est tardive. Les populations seront formées de beaucoup plus d’adultes que de jeunes. C’est ce que l’on appelle la stratégie K, une reproduction lente mais efficace, que l’on retrouve particulièrement chez les grands animaux comme les mammifères marins, ou les requins. Chez les dauphins par exemple, dont la gestation dure près d’un an, les femelles sexuellement matures donnent naissance à un seul petit à la fois, généralement tous les deux ou trois ans. Le nouveau-né est assisté dès la naissance par d’autres femelles du groupe, et sera éduqué durant ses premières années.
De l’autre, lorsque le milieu présente des risques élevés, avec des conditions variables et des ressources limitées ou imprévisibles, les êtres vivants n’ont d’autres choix que de produire un grand nombre d’individus. Et le plus rapidement possible ! Une maturité sexuelle précoce, et une fécondation élevée, compensent une mortalité importante dès les premiers stades de vie. C’est la stratégie r, qui conduit à des populations formées essentiellement de jeunes, avec très peu d’adultes sexuellement matures, mais qui se reproduisent en général très régulièrement. Tous les moyens sont bons pour pérenniser l’espèce. Le poisson clown lui, produira des centaines, voire des milliers d’œufs à chaque ponte. La femelle les fixera au pied d’une anémone hôte. Le mâle se chargera de les surveiller jusqu’à l’éclosion, moment où chaque petite larve sera livrée à elle-même. De même pour le porte-écuelle, un petit poisson vivant sur le fond, caché sous les pierres. Le couple surveille les œufs déposés sous les galets, jusqu’à l’éclosion. S’assurer avant toute chose que les œufs soient protégés jusqu’à l’éclosion. Ensuite, c’est une autre affaire…
Fuir pour mieux grandir !
Dès la naissance, les juvéniles sont lâchés dans le grand bain. La grande aventure commence et ils vont alors devoir faire face aux nombreux prédateurs en quête d’un repas. Pour beaucoup d’entre eux, c’est le grand large qui les sauvera. Si l’immensité du large pourrait sembler bien dangereuse pour des êtres aussi petits, c’est pourtant là qu’ils rencontreront le moins de prédateurs et une abondance de nourriture avec le plancton. Il sera alors plus facile de survivre jusqu’à atteindre une taille leur permettant de se rapprocher des côtes. Prenons l’exemple de la tortue verte : les femelles pondent dans le sable sur la plage une centaine d’œufs. Une fois éclos, les petits regagnent la mer et tentent de nager vers le large. Ils y passeront les premiers mois profitant du plancton pour se nourrir. Les rares individus atteignant une taille d’environ 20cm, retourneront près des côtes, à la recherche d’herbiers dont ils feront leur nourriture favorite.
Dans ce plancton nourricier, on retrouve justement un grand nombre de larves appartenant à divers groupes, tel que poissons, crustacés, mollusques, échinodermes, cnidaires, … Après un séjour à voyager en pleine eau (ce qui contribue aussi à la dissémination des espèces), les jeunes individus s’aventurent pour la plupart près des côtes pour adopter un nouveau mode de vie. Seules les espèces pélagiques restent en haute mer. Ils ont en général encore leur forme juvénile, qui peut être très différente de celle des adultes, ou à l’opposé, une réplique miniature !
Quelques exemples de bébés de la mer
- La grande nacre (Pinna nobilis): le plus grand coquillage de Méditerranée commence sa longue vie en voyageant dans le plancton. Puis la coquille se forme, la larve s’alourdie, et se fixe sur le fond. Les jeunes individus ressemblent globalement aux adultes, mais leur coquille est translucide et présente des excroissances sur les bords en forme de gouttières, jouant probablement le rôle d’épine de protection.
- L’étoile de mer rouge (Echinaster sepositus): chez cette étoile de mer si commune dans nos eaux, il n’y a pas de stade larvaire ! Les œufs fécondés de manière externe (Mâles et femelles lâchent leurs gamètes simultanément dans l’eau), donnent rapidement de minuscules étoiles. Celle-ci est vieille de plusieurs mois déjà !
- La castagnole (Chromis chromis): nous les rencontrons tous les étés ! Ces petits bancs de poissons d’à peine 1 ou 2 cm bleues électriques qui s’agitent à la moindre bulle. Ils naissent et commencent à grandir dans les anfractuosités de la roche, où la femelle a déposé ses œufs, que le mâle s’empresse de féconder. En quelques mois, ils prendront la livrée des adultes.
- Daurade royale (Sparus aurata): les juvéniles de cette espèce bien connue ne sont pas toujours faciles à observer. C’est surtout la nuit que l’on pourra les croiser. Après avoir passé quelques jours en pleine mer à l’état de minuscule larve, le petit poisson se rapproche des côtes. Il ne mesure alors à peine qu’un ou deux centimètres. Son corps transparent lui permet de passer plus facilement inaperçu, avant d’acquérir sa pigmentation en grandissant.
- Diagramme (Gaterin) ponctué (Diagramma pictum): sur cette image, on peut observer une large partie de l’évolution entre le juvénile et l’adulte. La livrée des juvéniles alerte les prédateurs d’un possible danger et aura tendance à les éloigner. La livrée adulte viendra progressivement au cours de la croissance.
- Gaterin oriental (Plectorhinchus vittatus): ce poisson que l’on rencontre souvent formant de superbes bancs appréciés des photographes dans l’Indo-Pacifique, commence sa vie avec une livrée très contrastée (brun-noir et jaune clair). Les juvéniles mettent ainsi en garde leurs futurs prédateurs en rappelant les couleurs de certains nudibranches toxiques !
- Poisson coffre jaune (Ostracion cubicus): Ce grand timide qu’il est toujours difficile d’approcher ! Les juvéniles qui ont globalement la même forme (un peu plus ronds et trapus), sont entièrement jaune parsemés de points noirs. Un fort contraste dissuasif, qui permet également de cacher ses yeux perdus au milieu des tâches de même taille !
- Antennaire verruqueux (Antennarius maculatus): une des espèces que l’on appelle plus communément « frogfish ». Alors que l’adulte peut mesurer jusqu’à une quinzaine de centimètres, on peut aussi rencontrer les juvéniles, déambulant péniblement dans le sable. Pas plus gros que l’ongle d’un pouce, ils sont la copie parfaite des adultes ! Avant cela, les larves restent de longues semaines à voyager dans le plancton. Et chassent déjà à l’aide de leur filament pêcheur !
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Quand le concombre se prend pour un nudibranche !
Il est parfois surprenant de voir ce que la nature peut réserver, même chez des espèces très primitives comme ce représentant des concombres de mer. Très important pour les écosystèmes marins, les holothuries nettoient littéralement les fonds marins des déchets organiques en les consommant et participent au bon équilibre du milieu. L’holothurie rayée (Pearsonothuria graeffei) peuple les eaux de Mer Rouge et de l’Indo-Pacifique. Cette espèce fait son travail comme les autres, mais présente une curiosité étonnante chez les juvéniles. Alors que les individus adultes sont de couleur beige clair avec des tâches marrons plus foncées, les jeunes arborent une étonnante coloration : rayés longitudinalement de noir et de blanc, avec des papilles jaunes ! Ça ne vous rappelle rien ? C’est en effet un magnifique cas de mimétisme, afin de ressembler au nudibranche Phyllidia varicosa. Toxique, cette espèce n’a quasiment pas de prédateur. D’où l’avantage de lui ressembler. Lorsque la taille de l’holothurie rayée dépasse celle du nudibranche et que la ruse n’est plus valable, elle changera de couleur pour adopter son apparence adulte.
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Le poisson clown a la vie dure !
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On reconnaît le degré de civilisation d’un peuple à la manière dont il traite ses animaux.